mercredi 19 mai 2010

Salutaire complexité

On entend souvent dire que la Science sert à expliquer le monde, à le caser dans des boites, à le rendre plus simple. C'est un contre-sens courant : le but de la Science, c'est d'introduire de la complexité. Dépasser le bon-sens simpliste. Produire des résultats contre-intuitifs. Casser les classements évidents. Mettre en évidence les biais, les exceptions, le temporaire. Bref, tout faire qu'on vienne raconter ensuite que la Science perd pied avec la réalité et ne sert vraiment à rien.

Toutes proportions gardées, Wikipédia joue un peu ce rôle là. J'y pensais en lisant un billet du blog de DainDwarf (coucou, toi, bienvenue sur la blogsphère wikipédienne francophone) à propos du modèle {{pistes}}. Ce modèle permet d'organiser le listing des pistes d'un album (titre en italique, durée, etc.). Personnellement, je pense que c'est une belle usine à gaz, mais c'est un autre problème.

Quand j'ai vu ce modèle, je me suis dis qu'il avait sûrement été créé de bonne foi avec une vision simple de son application : un album d'une quinzaine de pistes au format CD audio tout bête. C'est certainement injuste de ma part : le modèle a l'air assez flexible et proposait dès le début de monter jusqu'à 99 pistes. Et en fait, ce n'est pas vraiment de ce modèle dont je voudrais parler en ce moment.

Quand en 2010, dans le monde occidental, on pense « musique », on pense souvent « album ». Et quand on pense « album », on veut dire « CD ». Bon, bien sûr, il existe des exceptions, mais c'est marginal. Forcément. Des trucs bizarres certainement. Pas mentionnables. Pas notables. Des machins qui ne viendraient pas à l'esprit d'une personne normale. Pas des VRAIS albums, quoi (et pas de la VRAIE musique de toute façon).

Le concept d'album comme support musical principal ne date que de quelques décennies (les Beatles sont essentiellement à blâmer, mais l'industrie du disque en a fait son business model le plus rentable). Le privilégier, c'est avoir un biais européen contemporain. Beaucoup d'autres formats ont existé (ou existent toujours) : EP, mini-LP, 45 tours, maxi 45 tours, single et j'en passe. En plus, le développement des boutiques en ligne pousse à privilégier la piste sur l'album ; j'ai d'ailleurs déjà vu des netlabels qui ne font que des éditions à la piste.

Au niveau support, on a le CD audio, mais également bien sûr le DVD, le vinyl ou la cassette. Et puis il y a tous les autres : le cylindre, le minidisc, la carte SD ou la cartouche NES. Et je passe sous silence les formats numériques (mp3 128, 320, FLAC, etc.) ou même les music disks.

Dans son billet, DainDwarf évoquait les pistes cachées. Mais il faut également prendre en compte les éventuels prégaps. Et, bien sûr, les pistes cachées à l'intérieur du premier prégap (c'est-à-dire lisibles uniquement en revenant en arrière à partir du début de la première piste). Quand à définir une durée pour les pistes vinyles qui se terminent par un sillon infini...

Et puis si vous pensez que toutes les éditions d'un album précisément nommé sont toutes identiques, vous vous mettez le doigt dans l'œil. Et ça peut être coton de définir une discographie chronologiquement exacte, même chez les groupes connus.

Bref.

Ce que je veux dire au final : même pour un sujet aussi banal que la musique populaire des 50 dernières années dans le monde occidental, il est facile de tomber dans la simplification excessive et de prendre ce qui n'est que le format majoritaire pour le VRAI format (entendre : le reste, c'est pas vraiment important). J'aime bien ce côté de Wikipédia, quand le site mentionne ce qui ne rentre pas dans les cases. Wikipédia est peut-être une encyclopédie, mais sa structure anarchique contraint à poser sur le monde un regard différent : les classements ne sont jamais absolus, l'exception est la règle, la majorité n'est jamais qu'un point de vue. Wikipédia rend le monde plus complexe.

Alors, bien sûr, quand on regarde ça de loin, on se dit que Wikipédia pinaille et passe à côté des VRAIES choses importantes. C'est une erreur : ce pinaillage permet justement de se rendre compte des choses vraiment importantes.

3 commentaires:

DainDwarf a dit…

Je dois dire que j'en reviens pas du nombre d'albums qui ont des versions totalement différentes selon la région du monde où l'on est. Et il est vrai que beaucoup de pages font comme si Il n'y a qu'une vraie version, la version japonaise c'est tout juste bon à faire l'objet d'une mini parenthèse : Exemple.

Le plus drôle? Il y a dans l'infobox une durée pour la longueur totale de l'album. Oui, alors qu'il y a plusieurs versions qui n'ont pas le même nombre de pistes.

Au fond, appliquer le modèle {{pistes}} permet aussi de voir les nombreuses aberrations présentes dans les articles. Si j'avais le temps, je chercherais à corriger, mais flemme. :)

Anonyme a dit…

En fonction des versions (vinyl et CD), l'album A Hard Day's Night des Beatles dure :

30:32
30:32
30:11
30:32
31:34
30:34
30:14
31:01
30:16
30:32
29:43

Plusieurs éditions ont une durée de 30:32, mais il existe de nombreuses exceptions. Ça fait quand même une bonne 10è de réponses différentes. O_o

Et encore, ce sont les quelques versions recensées sur musicbrainz.org.

http://musicbrainz.org/release/c607bf02-a7c3-461e-9e98-caaa72a0689a.html

DC a dit…

Très bon billet.