vendredi 17 décembre 2010

λύω, λύσω, ἔλυσα, λέλυκα, λέλυμαι, ἐλύθην

J'aime énormément le Wiktionnaire. J'ai tendance à penser qu'il s'agit du projet wikipédien avec le plus de potentiel. Enfin, quand on maîtrise la syntaxe, bien sûr. Grâce à lui, j'ai écrit sur de l'indo-européen, du sumérien et j'en passe.

Une idée géniale du projet, c'est qu'il est possible de créer des articles individuels pour chacun des formes d'un mot (pluriels, féminins, conjugaisons, etc.). Il n'y a pas longtemps, je me suis dit que si j'avais eu ça pendant que j'apprenais le grec ancien, j'aurais apprécié. (oui, j'ai étudié le grec ancien dans ma prime jeunesse. J'ai même pris l'option au bac — avec l'option informatique, une combinaison inédite dans mon académie cette année là — et l'examinateur était tellement content de voir des matheux apprendre la langue qu'il nous a laissé choisir notre texte, et bref. Enfin, j'ai bien aimé, moi.)

C'est que les conjugaisons en grec ancien, ça peut être retors. Déjà, y'a des modes bizarres comme l'optatif, des temps étranges comme l'aoriste, des voix inhabituelles comme la voix moyenne, deux personnes au duel, etc. En gros, il faut considérer le radical du verbe, placer derrière un signe pour le temps, placer devant un dédoublement si c'est au passé, placer encore devant un augment si c'est un temps secondaire et flanquer une désinence pour la personne tout au bout. Et faut tenir compte des éventuelles modifications phonétiques, de radicaux qui peuvent changer en cours de route, et toutes ces sortes de choses.

Tenez, prenez par exemple le verbe λύω, « délier » (l'exemple de base puisque son radical λύ est totalement régulier et ne forme pas de modifications phonétiques zarbies). Son plus-que-parfait de l'indicatif médio-passif à la 1re personne du pluriel devient ἐλελύμεθα. Facile. Si ça vous amuse, vous pouvez jeter un coup d'œil sur le chouette tableau de conjugaison du verbe. Et dites-vous bien que c'est un verbe simple.

Maintenant, je ne sais pas si vous l'avez remarqué, mais un simple verbe contient facilement 300 formes différentes. Donc 300 articles potentiels sur le Wiktionnaire. Si avec ça on n'explose pas les anglais, c'est à se flinguer. :)

Bon, spas tout ça, mais va falloir déjà que je les ponde, les conjugaisons. Déjà, je suis sûr que l'aoriste indicatif passif de βάλλω (« lancer ») n'est pas ἐβάλην comme indiqué ici, mais ἐβλήθην. Y'a du boulot.

jeudi 9 décembre 2010

Visibilité

Je suppose que tout le monde est au courant du foin fait autour de WikiLeaks récemment. Globalement, si j'ai bien pigé, l'idée générale, ça semble être qu'on savait déjà tout ça et que c'était donc bien la preuve qu'il ne fallait rien publier. En laissant de côté l'illogisme de cette opinion, on peut bien se dire que si Assange s'était borné à faire un boulot standard de journaliste (publier n'importe quoi sans penser à la santé ou à la vie de quiconque, mais le faire sur du papier, en gros), on aurait plutôt applaudi. J'imagine que le problème, c'est l'échelle du bidule : des centaines de milliers de documents accessible facilement.

C'est marrant, mais on m'a fait penser ce matin à des affaires qui sont arrivées à Wikipédia. Des affaires un tantinet similaires (légales, celles-là ; quoiqu'à l'heure actuelle, rien n'ait encore été prononcé sur la légalité des fuites de WikiLeaks).

En mars 2009, le Monde constate la publication de l'organigramme de la DCRI sur l'article correspondant de WP. Le Bistro remarque rapidement que, si cet organigramme est couvert par le secret-défense, toutes les infos sont accessibles simplement en regardant le Journal officiel. Donc parfaitement libres. Wikipédia se contente juste d'en accroitre la visibilité.

En juillet 2009, on apprend que Wikipédia reproduit les 10 plaques originales du test de Rorschach avec les réponses standard. Bien sûr, les plaques sont dans le domaine public. Bien sûr, ces réponses sont données un peu partout. Là encore, Wikipédia en accroit la visibilité. D'où colère de certains psychiatres.

En août 2010, c'est la conclusion de La Souricière qui fait débat. La pièce de Christie repose sur l'idée qu'on ne doit pas dévoiler qui est l'assassin (à mon avis, le succès de la pièce tient surtout à ce sentiment qu'on doit avoir après sa représentation de faire partie d'une communauté restreinte, responsable et au courant). Forcément, WP dit précisément qui est l'assassin. Peu importe qu'il soit parfaitement possible, muni d'un simple Google, de le trouver sans même passer par l'encyclopédie : Wikipédia donne là encore trop de visibilité au sujet.

Je suppose qu'avant, on pouvait se permettre de laisser libre l'accès à toutes ces informations, puisqu'il était impossible de les publier (c'était possible mais trop coûteux, pas facile, pas assez lu, etc.). Bref, on avait le droit, sauf qu'en pratique on n'avait pas le droit. Maintenant, il est facile d'user de ce droit. Et, comme de juste, ça répond « mais avant c'était pas comme ça, on rompt avec la tradition. » Ouaip, tant que vous aviez des droits inutiles, ça allait... Attendez-vous, sous le fallacieux prétexte de la moralité, à ce qu'on vous les rabiote.