lundi 30 mars 2009

Deux-trois réflexions à propos d'une œuvre contemporaine

Je ne sais pas si beaucoup de gens connaissent Spiral Jetty. Il s'agit d'une œuvre de land art construite par l'artiste américain Robert Smithson en 1973 : une jetée en spirale s'arrachant de la rive nord-est du Grand Lac Salé et s'enroulant au total sur plus d'un kilomètre. Elle est composée de tomberaux de rochers déversés dans le lac. Elle est peu visible. Incidemment, elle est aussi l'une des œuvres majeures du 20e siècle, au même titre que la Recherche de Proust ou 4′33″ de Cage.

Artistiquement, le land art pose des problèmes particuliers : les œuvres qui s'en réclament sont souvent installées dans des coins reculés (voire difficilement accessibles), en dehors de tout champ d'exposition standard (musée, galerie, etc.). Elles défient le principe de conservation, soumises au éléments, condamnées à une dégradation plus ou moins rapide. Bref, elles participent du grand mouvement d'explosion des définitions de l'art du siècle passé.

Par conséquent, le land art pose également des problèmes sur Wikipédia. Je suis allé voir ce qu'on a comme critères sur le sujet. Voici ce que disent les critères de notoriété des arts visuels :

« Doit vérifier l'un des critères :
* être représenté dans les collections d'un musée reconnu.
* avoir réalisé au moins deux expositions personnelles, critiquées ou présentées par des médias nationaux (télévision, radio, presse…) »

Le moins qu'on puisse dire, c'est que ça semble assez radicalement peu adapté à l'art tel qu'on le pratique depuis 1950. Ici comme ailleurs, j'ai comme l'impression qu'on a essayé de pondre des critères avec en tête une idée bien précise de ce qu'est une œuvre artistique, mais que cette conception ne résiste pas dès qu'on creuse un peu.

Le truc ennuyeux, c'est qu'on a réellement besoin de critères pour éjecter les paquets d'articles sur des œuvres anecdotiques ou des artistes méconnus en quête de reconnaissance. Je ne sais pas quel est le problème avec le milieu artistique, mais je reste perplexe devant son incapacité manifeste à intégrer le moindre concept encyclopédique. Tenez, voici un extrait de l'article sur Nils Udo, un artiste allemand lié justement au land art :

« Chez Nils Udo, l'œuvre d'art elle-même a une vie. Elle naît, se développe, vieillit et meurt. C'est une part de la nature ; elle est soumise à ses lois. Il ne pense pas faire ce qu'il fait pour les autres mais pour la nature. C'est avec elle qu'il s'exprime, se découvre et s'enrichit... Il établit avec elle « un dialogue d'ordre spirituel et esthétique ». Ses travaux n'ont jamais un effet destructeur. Il n'hésite pas, même, à créer des œuvres ayant une portée morale : des monuments commémoratifs faits d'arbres morts témoignent des conséquences de notre civilisation. Grâce à ses œuvres, il met les hommes face à la réalité. Leur accusation muette a parfois un tel impact qu'ils doivent être démontés (c'est ce qui s'est produit en Picardie, en 1984). »

Ici, le problème n'est pas l'absence de notoriété (Udo est plus que notable). Ni l'absence de sources (on peut en trouver des tonnes). Le problème, c'est cette accumulation de phrases subjectives, ce lyrisme à peine retenu, ces affirmations qui font systématiquement passer un point de vue pour une vérité. J'aimerais bien pouvoir dire que c'est un cas isolé, mais je retrouve des paragraphes de ce genre dans le cinéma, la musique, la littérature, bref dans les arts en général. Je ne doute pas que la communauté artistique souhaite indiquer qu'une œuvre est un acte, une idée, une pensée plutôt que d'avouer qu'il ne s'agit que d'un pâté de sable amélioré. Mais du point de vue wikipédien, ça ne va pas du tout.

Dans un autre ordre d'idées, tandis que je recherchais des infos sur Spiral Jetty, je suis tombé sur cet ancien article du New York Times qui décrit le travail d'un économiste américain, lequel a appliqué une technique simple pour quantifier l'importance d'une œuvre d'art contemporaine : compter ses apparitions dans les manuels d'histoire de l'art récents. Les historiens de l'art minimisent la pertinence des nombres pour définir l'importance artistique. Le journaliste exagère probablement la polarisation des deux points de vue, mais l'article m'a rappelé l'éternelle opposition wikipédienne entre qualité et quantité.

vendredi 27 mars 2009

Médisons sur WP à peu de frais

Vu sur Wikipédia:Articles de qualité, en gros et en plein milieu  :

0,07 % des articles de Wikipédia sont reconnus de qualité.

On peut donc en conclure que :

99,93 % des articles de Wikipédia sont de la daube en boîte.

jeudi 19 mars 2009

3 800 articles, c'est beaucoup trop pour une encyclopédie

Je suis tombé récemment sur la page Wikipédia:Objectif 100 000 articles. Au début, elle était intitulée « Wikipédia:Objectif 15 000 articles », puis est passée par « Wikipédia:Objectif 25 000 articles » avant de prendre le titre actuel.

Sur la page de discussion, on trouve cet argumentaire charmant :

« C'est vrai que quand on y pense, on s'aperçoit qu'on n'est vraiment qu'un tout petit wiki...
De par son faible nombre de wikipediens, probablement.
En tous cas, nous sommes autour de 3800 articles, avec une croissance faible par rapport à d'autres.

Que faire ? Est-ce si ennuyeux ? Après tout... »

Le commentaire a appelé la réponse suivante :

« Il faudrait plutôt s'engager dans la qualité que la quantité ! 30000 articles vides seront bien moins populaires que 5000 articles complets »

C'était début 2003. Certaines choses ne changent pas. :)


Allez, je vais lancer « Wikipédia:Objectif un million d'articles ».

mercredi 18 mars 2009

Lists v. Tables

C'est intéressant : je me rends compte qu'en ce moment, j'ai passé pas mal de contributions à transformer des tableaux en simples listes à puces.

Je trouve que ça fait plus clair. Pas vous ?

lundi 9 mars 2009

Génération automatique d'articles : un cas concret

Au chapitre des articles les plus fumeux que j'aurais créés sur Wikipédia, je pense que ma série sur les parallèles géographiques figure en bonne place.

À l'origine, on trouve des articles sur l'équateur, les tropiques et les cercles polaires. En dehors de ces cercles de latitude constante, j'ai créé le premier véritable article sur un parallèle il y a plus de 2 ans : 45° N. Ont suivi 38° N (à cause de la guerre de Corée) et 60° N (qui sert de frontière interne au Canada). Et puis je n'ai pas vraiment poursuivi parce que je n'avais pas grand chose à dire. De temps en temps, un petit parallèle se créait par ci par là, mais ça restait marginal.

Ces derniers temps, j'avait constaté que les anglophones avaient rempli leur catégorie « Lines of latitude ». Néanmoins, la perspective d'une éventuelle PàS me refroidissait pas mal : pas envie de débuter un travail conséquent si je devais aller le justifier en pure perte dès sa création. On ne dira jamais à quel point la perspective d'une PàS empêche de se lancer sur Wikipédia : dans mon cas, deux ans de retard (oui, je sais bien, garde-fou, articles non-encyclopédiques, tout ça ; je suis un contributeur ancien, au courant des règlements : imaginez l'effet que ça peut avoir sur un nouveau enthousiaste). Et puis j'ai réfléchi un peu et je me suis dit : « allez, je me lance ».

Écrire sur un parallèle géographique, c'est presque écrire sur du vide. À première vue, il n'y a pas grand chose à raconter. Ce qui signifie qu'il y a quelque chose : la longueur totale, par exemple. La distance au pôle. Les zones traversées. Oui, c'est aride, c'est brut, c'est totalement descriptif, mais c'est la base, en quelque sorte.

J'ai trouvé des sources convaincantes pour la longueur et les distances (je suis nul en géométrie elliptique). Comme il est facile d'obtenir l'altitude d'un point de la surface quand on connait ses coordonnées, il n'est pas bien compliqué de déterminer les endroits où un parallèle passe de la mer à la terre (et inversement). L'accès à ces informations étant assuré, j'ai mis au point un canevas général permettant de les afficher dans un article de Wikipédia, le but étant d'obtenir des articles pour 89°S N, 89° S et toutes les latitudes entières entre les deux : ce genre d'article ne se conçoit qu'en bloc.

Actuellement, un petit script me génère automatiquement le canevas d'une latitude quelconque. Il reste à ma charge de mettre des toponymes sur les arcs de parallèles. J'ai déjà terminé l'hémisphère sud. Au final, Wikipédia disposera d'un ensemble d'articles bénéficiant d'une mise en page commune et d'un contenu similaire : c'est ça qui est le plus important. Je ne sais pas encore quel en sera l'usage. Je pense qu'on me reprochera de créer des articles pour le simple plaisir de les créer. C'est bien possible, mais c'est un peu l'idée générale de Wikipédia, non ?

Il serait possible de rajouter des infos, bien sûr. Inclure une carte. Pourquoi pas une courbe de profil. Utiliser des services comme GeoNames pour trouver les lieux alentours. Bien entendu, ça ne donnera jamais des articles fondamentaux. Au mieux, ça sera l'équivalent géographique des articles sur les dates. Je ne pense pas que ce soit important.

Tout ça ne créera à terme que 179 articles : c'est bien peu, quand on y songe. Quand j'aurai fini, je passerai aux méridiens.

J'attends toujours la proposition de suppression, elle arrivera bien un jour ou l'autre. J'espère qu'elle me sera favorable.

jeudi 5 mars 2009

L'Angoisse du contributeur au moment de nommer son article


J'adore Strange Maps. Ce blog commente régulièrement des cartes étranges, imaginaires, anormales ou tout simplement originales. Parfois, il donne des idées d'articles (par exemple, ce post, qui m'a donné envie de traduire cet article).

La dernière livraison parle d'une zone particulière de la frontière entre la République d'Irlande et l'Irlande du Nord. À cet endroit, le territoire de la République d'Irlande forme comme une presqu'île à l'intérieur de l'Irlande du Nord, seulement rattachée au reste du pays par un petit cordon, au sud (et visiblement plus facilement accessible en traversant la frontière deux fois de suite plutôt qu'en cherchant à rester en territoire irlandais).

Ce genre de topologie est relativement courant à l'échelle mondiale : le tracé des frontières devant concilier des impératifs géographiques, historiques et politiques (voire totalement aléatoires, sans compter les fois où les arpenteurs se plantent), ça peut devenir compliqué. Dans le cas irlandais, j'imagine qu'à la partition de l'Irlande en 1921, le tracé s'est joué sur la religion des paroisses, qu'il y avait des villages catholiques un peu avancés vers le nord et qu'on a choisi de ne pas les enclaver totalement. Il arrive que ça prenne des proportions dingues, comme dans le village néerlando-belge de Baarle ou dans cette section de la frontière croato-slovène présentée en haut (apparemment, ils y sont allés parcelle par parcelle et ont tracé des lignes pour relier le tout).

En matière de frontières, Wikipédia a un petit problème : nommer les concepts. Les termes sont mal définis, quand seulement ils existent. Une enclave, ok, pas trop de problème. Sauf si certains se mettent à parler d'exclave (c'est comme une enclave, mais du point du pays enclavé). On trouve aussi les tripoints. Et les panhandles (là, on passe directement à l'anglais, sauf si on traduire par « queue-de-poêle »). Bref, tout un tas de termes dont l'origine est au mieux bancale et au pire douteuse, mais qui remplissent le vide. Bien entendu, baser un article de Wikipédia là-dessus est contestable, mais on ne peut pas trop faire autrement.

Par contre, pour le machin frontalier décrit au-dessus, je n'ai pas la moindre idée de comment l'appeler (vous pouvez regarder les commentaires du blog, vous verrez que les anglophones ne le savent pas vraiment non plus). C'est trop découpé pour être une bête queue-de-poêle, donc c'est quoi ? Et je fais comment pour créer un nouvel article inutile si je sais pas comment ça s'appelle, moi ?