vendredi 10 avril 2009

Apocryphe

C'est un article que j'ai vu passer sur le Bistro d'hier qui m'y a fait penser. L'article s'intitule « les étudiants de la génération Wikipedia sont paresseux » et dit, en gros, que selon les profs, les étudiants sont des fumistes qui s'attendent à ce que tout leur tombe tout cuit dans le bec et que c'est la faute d'Internet (bon, ok, je résume).

Bon, les étudiants sont des imbéciles immatures, tout le monde le sait (soyons honnête, ce n'est pas exactement ce que l'étude citée raconte, même si c'est tout de même ce que l'article sous-entend) : c'est un lieu-commun. C'est bien entendu un gros fantasme qui permet d'éviter de se dire que les temps changent.

Cet épisode m'a rappelé un texte sur lequel j'étais tombé peu de temps après mes débuts sur Internet. Un texte qui donne quatre citations sur la décadence de la jeunesse, avant de signaler qu'elles ont toutes plus de 2 000 ans. Vous pouvez en trouver une copie ici. C'est percutant, bien vu et probablement du pipeau intégral.

Prenez la prétendue citation de Socrate :

« Notre jeunesse [...] est mal élevée, elle se moque de l'autorité et n'a aucune espèce de respect pour les anciens. Nos enfants d'aujourd'hui [...] ne se lèvent pas quand un vieillard entre dans la pièce, ils répondent à leurs parents et bavardent au lieu de travailler. Ils sont tout simplement mauvais. »

Bon, si c'est Socrate, ça vient presqu'à coup sûr d'un texte de Platon. Et si ça vient de Platon, c'est trouvable sur Internet. Premier problème : l'omniscient Google, lorsqu'on lui demande de chercher une partie de ce texte, ne semble renvoyer que des liens vers ces quatre citations. Déjà, c'est plus que louche. Peut-être est-ce une traduction alternative ? Avec des termes clés, les résultats ne sont pas plus significatifs.

À ce moment là, j'ai besoin de restreindre la cible. Justement, Wikisource me fournit la quasi-totalité des œuvres de Platon directement en texte : il est très facile de faire des recherches dessus. Chou blanc à nouveau. Même La République ne contient pas la citation, et pourtant elle possède son content de conneries.

J'abandonne donc la recherche ; si quelqu'un est plus informé que moi, je suis preneur.

En tout cas, j'aurais passé une dizaine de minutes à faire usage des moyens informatiques actuels et abandonné dès qu'il aura fallu pousser plus loin. C'est totalement le cadre de l'article, mais je pense néanmoins que c'est à côté de la plaque.

10 commentaires:

Schutz a dit…

Y'a ce site sympa qui s'appelle Wikiquote qui peut aider... Rien sur Socrates en français, mais sur http://en.wikiquote.org/wiki/Socrates, dans la rubrique "Misattributions", c'est la troisième citation (avec deux liens pour en savoir plus).

Ca a plutôt l'air d'être bidon, effectivement.

Sinon, je connais une prof de philo qui tient un blog, je suis sûr qu'elle aurait quelque chose à dire sur le sujet...

Serein a dit…

Nan nan, y a bien des citations antiques sur la jeunesse qui ne fait rien et qui est décadente, mais ce n'est pas Socrate.

Je dois avoir des trucs là-dessus, je m'étais amusée à les sortir à mes élèves, mais c'est au fond de mes cartons, il faudra patienter monsieur le Poulpe :-)

Barraki a dit…

Même si de telles citations existent, le fait d'utiliser de fausses citations suffit largement à renvoyer à ceux qui les utilisent qu'ils décadent eux-même au moins autant que la jeunesse Facebookophile.

Anonymous a dit…

1. Il existe d'autres sources contemporaines pour les citations de Socrate que Platon, à commencer par Xénophon (Mémorables) un autre de ses élèves.

2. La citation ressemble quand même beaucoup au passage de La République (IV.425a-c) où Socrate explique que le silence en présence des aînés, l'aide qui leur est due, le respect envers ses parents, mais aussi une tenue vestimentaire et une coupe de cheveux correctes sont autant de principes que l'éducation doit permettre de retrouver dans la Cité idéale — étant sous-entendu qu'ils sont perdus à son époque.

Meodudlye a dit…

Je m'insurge contre la désinformation qui fleurit ici, sur ton billet et dans les commentaires.

Si la France en 1986 a battu le Brésil, ce n'est pas parce que son capitaine était trop vieux (j'ai bien compris l'allusion fine et délicate à son âge en faisant croire qu'il connaissait Platon), mais uniquement parce que c'était nous les plus forts c'est tout.

HALTE LÀ, je dis.

Apollon a dit…

Une ligne vraiment apocryphe : "L'Etat c'est moi" de LXIV.

gede a dit…

Si ce genre de déplorations, et l'étude de leur ancienneté t'intéresse, tu en trouvera une étude dans le célèbre livre de Baudelot et Establet, Le niveau monte http://www.amazon.fr/niveau-monte-Christian-Baudelot/dp/2020124696

Je ne l'ai pas sous la main, mais il contient peut être même tes fameuses citations.

Wart_Dark a dit…

le père prend l'habitude de se rendre semblable à l'enfant et d'avoir peur de ses fils ; le fils, de son coté, de se rendre semblable au père et de ne respecter ni craindre ses parents, et cela pour être libre ; l'immigré de se mettre à égalité avec le citoyen, et celui-ci avec l'immigré, et pareillement pour l'étranger proprement dit. Dans un pareil Etat, le maître a peur de l'écolier et le flatte, l'écolier a le mépris du maître et de même à l'égard de l'éducateur. D'une façon générale, les jeunes se donnent l'air d'être des vieux et ils leur tiennent tête en paroles comme en actes. Tandis que les personnes d'un certain âge, pleine de tolérance pour les frasques de la jeunesse, se gorgent de badinages à l'imitation de cette jeunesse, afin de ne pas passer pour des individus moroses et des despotes.
La République, Platon (562e-563b)

Il est probable que ce soit de ce passage dont dérive ta mystérieuse citation, malheureusement la décadence des adultes détenteurs des moyens de diffusion de l'information est telle que la pérennité de l'œuvre philosophique grecque me semble gravement compromise... achevée par les conversations de bistrot (virtuel ou alcoolisé). Puisse la jeunesse bûcheuse nous sauver !

La citation d'Hérodote est également une déformation d'une citation juste, mais j'ai la flemme de la retrouver :)

Wart_Dark a dit…

LIVRE VIII au cas où vous voudriez retrouvé rapidement le passage (le découpage du texte changeant sensiblement d'une édition à l'autre)

Ce texte est extrait d'une charge en règle contre la démocratie. Qui a dit que Platon était de droite ?

Ce qui est rassurant c'est que la perte de valeurs, la transgression généralisée, l'incertitude du monde, le conflit des générations, les problèmes suscités par l'immigration, et la faillite de la tradition, sont tout aussi anciens que les dénonciateurs du laxisme, les empoisonneurs à la moraline, les déclinologues, et autres doctrinaires de tout poil.

Poulpy a dit…

@Wart_Dark : yep, j'avais trouvé le passage en faisant la recherche. Mais il ne correspond pas exactement à la citation, donc je ne l'ai pas pris en compte.

En tout cas, ça me conforte dans mon opinion de Platon comme vieux con, qu'on met trop facilement sur un piédestal parce qu'il était le premier. Ou, en tout cas, qu'on lui passe un peu trop vite toutes les énormités qu'il a pu proférer sous prétexte que, globalement, c'est un Grand Penseur. D'un autre côté, je suis persuadé que personne ne lit jamais Platon, même si tout le monde prétend le contraire, donc ça doit être lié (oui, je sombre dans le déclinisme à deux balles si je veux).

Sinon, puisqu'on en est aux citations, j'aime assez celle là :

« [I]l ne s'est guère écoulé cinq années de suite [pendant le siècle passé] dans lesquelles on n'ait pas publié quelque livre ou quelque pamphlet, écrit même avec assez de talent pour faire impression dans le public, où l'auteur prétendait démontrer que la richesse de la nation allait rapidement vers son déclin, que le pays se dépeuplait, que l'agriculture était négligée, les manufactures tombées et le commerce ruiné; et ces ouvrages n'étaient pas tous des libelles enfantés par l'esprit de parti, cette malheureuse source de tant de productions vénales et mensongères. Beaucoup d'entre eux étaient écrits par des gens fort intelligents et de bonne foi, qui n'écrivaient que ce qu'ils pensaient, et uniquement parce qu'ils le pensaient. »

Certes, ça concerne plus le niveau de vie que l'éducation des jeunes, mais si Adam Smith était capable d'écrire ça en 1776, c'est que le déclinisme est ancré dans nos gènes.

Pour tous les autres, c'est amusant de voir que ce post a déclenché autant de réactions aussi intéressantes. En plus, j'aurai eu l'occasion de caser une citation de Smith, donc merci.